L’écho médiatique d’Apollo 11 en France – 2. A la télévision
L’écho médiatique d’Apollo 11 en France – 2. A la télévision
© INA

publié le 21 juillet 2019 à 11:57

1048 mots

L’écho médiatique d’Apollo 11 en France – 2. A la télévision

Après avoir évoqué hier le déchaînement de la presse à l’occasion du premier débarquement lunaire, portons maintenant le regard sur la manière dont la télévision française a traité l’événement.


Le 17 juillet 1969, après avoir annoncé le succès du départ de la mission Apollo 11, Le Parisien Libéré souligne que dans le monde « 600 millions de téléspectateurs ont vu décoller Apollo 11 ». Quant au débarquement lunaire en lui-même, certains estiment que le nombre de téléspectateurs a pu avoisiner le milliard sur les 3,5 milliards d’habitants que comptait alors la Terre. Toutefois, l’épopée Apollo 11 a surtout été regardée massivement dans les pays occidentaux (mieux équipés en postes et en réseaux) et nettement moins, voire pas du tout, dans les pays d’obédience communiste (URSS, Chine, etc.) - à quelques exceptions près comme la Roumanie – et ce pour des raisons également liées au contexte idéologique ; montrer en direct la victoire américaine pouvait susciter des interrogations évidentes…

Quant à notre pays, c’est environ un Français sur deux qui a regardé le débarquement lunaire, soit 25 millions de personnes. Sachant que chaque foyer ne disposait pas encore d’un poste de télévision, beaucoup ont suivi l’événement chez des voisins, au café du coin, devant la devanture d’un marchand de télévisions, etc.

 

La Lune, « un sujet de société ».

Dans le mois qui a précédé le lancement d’Apollo 11, la télévision française - jeune média, rappelons-le, qui a pris son essor dans les années 1950 - a consacré 45 sujets à la Lune, traités sur les deux chaînes (la seconde chaîne existant depuis 1964), soit une moyenne d’un peu plus d’un sujet par jour. De nombreux journaux télévisés, des débats, mais aussi des émissions de variété ont évoqué la Lune à un moment donné ou un autre. Richard Poirot, du Département des éditions multimédias de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), rappelle et souligne que l’« on débat sur la Lune, on parle de la Lune, on s’amuse avec la Lune, on chante la Lune, on va danser sur la Lune, ce n’est pas juste un sujet d’actualité, c’est vraiment un sujet de société ». En effet, outre les chansons (A demain la Lune, Adamo, 1969 ; Space Oddity, David Bowie, 1969), la Lune se décline dans quasi tous les domaines : dans l’art, les objets du quotidien (lampe, table à repasser en forme de fusée, etc.), la mode… et même la société Frisco (aujourd’hui groupe Nestlé), qui se prend au jeu en vendant des glaces en forme de fusée.

 

Le rôle de la mondiovision.

Un certain nombre d’émissions sur Apollo 11 et la Lune se fait alors en mondiovision. Il s’agit d’une diffusion simultanée d’un programme télévisé dans plusieurs pays du monde. La première retransmission en mondiovision remontait au 11 juillet 1962, date à laquelle les Etats-Unis et la France ont procédé pour la première fois dans l’histoire à une transmission en directe grâce au satellite américain Telstar. Cette première était due pour la partie française à la volonté politique du général de Gaulle souhaitant que la France fasse partie des premières nations à s’engager dans la révolution des télécommunications. Cela avait été rendu possible par notamment la construction du centre de Pleumeur-Bodou. Ainsi, le premier débarquement lunaire bénéficiait des technologies récentes pour pouvoir suivre l’événement en direct (qui n’a cependant pas été le premier grand événement planétaire, mais la chanson des Beatles All You Need Is Love qui, le 25 juin 1967, a été suivie à travers le monde par 400 à 700 millions de téléspectateurs).

 

L’alunissage depuis les studios de Cognacq-Jay.

Les 20 et 21 juillet 1969, le monde entier retient son souffle à la veille du premier débarquement humain sur la Lune ; Houston est momentanément le centre du monde. Le service de presse présent au centre spatial américain ne compte pas moins 36 chaînes de télévision et 3 500 journalistes (dont 57 français). De nombreuses chaînes n’hésitent pas à faire du direct pendant plusieurs heures, comme en France alors qu’il n’existait pas à l’époque d’émissions nocturnes.

L’événement est relaté depuis les studios de Cognacq-Jay (13-15, rue Cognacq-Jay, Paris), haut lieu de la télévision française depuis 1944. Jean-Pierre Chapel et Michel Anfrol ont alors l’honneur de suivre et de commenter le déroulement de l’opération historique entre 3 et 4 heures du matin.

Les deux journalistes prennent alors l’antenne en fin d’après-midi. Maquettes à l’appui devant eux, ils commentent l’arrivée et l’alunissage du module lunaire (LM), à 21h17 (heure de Paris). Il faut attendre plusieurs heures avant la première sortie. Puis vient le moment tant attendu. A ce moment-là, Jean-Pierre Chapel et Michel Anfrol réapparaissent à l’antenne en pleine nuit et pour quatre nouvelles heures de direct.

 

« Le grand rendez-vous »

Dans un premier temps, ce qui interpelle les commentateurs, ce n’est pas tant l’exploit de s’être posé sur la surface lunaire – car celui-ci était finalement attendu – mais plutôt la fièvre qui existe alors aux Etats-Unis. A 2h15, le générique de la MondioVision apparaît à l’écran. La voix de Jean-Pierre Chapel annonce : « Eh bien, c’est maintenant le grand rendez-vous. En principe, dans un quart d’heure nous devrions avoir des images, c’est maintenant que va se passer la sortie sur le sol lunaire. Nous attendons des nouvelles précises (…) ». Le contact est alors établit avec les Etats-Unis où se trouve le correspondant Jacques Salbère. Michel Anfrol annonce l’heure d’ouverture du sas du LM puis la sortie d’Armstrong précisant que celle-ci a été anticipée de plusieurs heures étant donné que les astronautes sont dans un « tel état d’excitation » qu’ils ne peuvent attendre 7 h du matin comme cela était prévu. La cabine est dépressurisée à 2h32 heure de Paris, l’écoutille s’ouvre à 2h42, puis Armstrong procède à la descente. 

En attendant les images, les commentateurs s’interrogent sur l’extraordinaire flegme des astronautes et du fait que la NASA n’arrive pas encore à savoir où se trouve exactement le LM. Puis Armstrong fait savoir qu’il ne s’est posé que 6,4 km plus loin que prévu, tandis qu’Aldrin souligne que la Lune est un véritable « gruyère » avec des trous partout. A l’aide d’une maquette, Jean-Pierre Chapel explique comment Armstrong va sortir et descendre du LM.

 

(A suivre)

 

Références

Un article : « Apollo 11, un spectacle médiatique unique en son genre », Centre Presse Aveyron, 16 juin 2019

Une émission de Rembob’INA : Les premiers pas sur la Lune, INA, 19 mai 2019.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

 

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21/07/2019 11:57
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L’écho médiatique d’Apollo 11 en France – 2. A la télévision

Après avoir évoqué hier le déchaînement de la presse à l’occasion du premier débarquement lunaire, portons maintenant le regard sur la manière dont la télévision française a traité l’événement.

L’écho médiatique d’Apollo 11 en France – 2. A la télévision
L’écho médiatique d’Apollo 11 en France – 2. A la télévision

Le 17 juillet 1969, après avoir annoncé le succès du départ de la mission Apollo 11, Le Parisien Libéré souligne que dans le monde « 600 millions de téléspectateurs ont vu décoller Apollo 11 ». Quant au débarquement lunaire en lui-même, certains estiment que le nombre de téléspectateurs a pu avoisiner le milliard sur les 3,5 milliards d’habitants que comptait alors la Terre. Toutefois, l’épopée Apollo 11 a surtout été regardée massivement dans les pays occidentaux (mieux équipés en postes et en réseaux) et nettement moins, voire pas du tout, dans les pays d’obédience communiste (URSS, Chine, etc.) - à quelques exceptions près comme la Roumanie – et ce pour des raisons également liées au contexte idéologique ; montrer en direct la victoire américaine pouvait susciter des interrogations évidentes…

Quant à notre pays, c’est environ un Français sur deux qui a regardé le débarquement lunaire, soit 25 millions de personnes. Sachant que chaque foyer ne disposait pas encore d’un poste de télévision, beaucoup ont suivi l’événement chez des voisins, au café du coin, devant la devanture d’un marchand de télévisions, etc.

 

La Lune, « un sujet de société ».

Dans le mois qui a précédé le lancement d’Apollo 11, la télévision française - jeune média, rappelons-le, qui a pris son essor dans les années 1950 - a consacré 45 sujets à la Lune, traités sur les deux chaînes (la seconde chaîne existant depuis 1964), soit une moyenne d’un peu plus d’un sujet par jour. De nombreux journaux télévisés, des débats, mais aussi des émissions de variété ont évoqué la Lune à un moment donné ou un autre. Richard Poirot, du Département des éditions multimédias de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), rappelle et souligne que l’« on débat sur la Lune, on parle de la Lune, on s’amuse avec la Lune, on chante la Lune, on va danser sur la Lune, ce n’est pas juste un sujet d’actualité, c’est vraiment un sujet de société ». En effet, outre les chansons (A demain la Lune, Adamo, 1969 ; Space Oddity, David Bowie, 1969), la Lune se décline dans quasi tous les domaines : dans l’art, les objets du quotidien (lampe, table à repasser en forme de fusée, etc.), la mode… et même la société Frisco (aujourd’hui groupe Nestlé), qui se prend au jeu en vendant des glaces en forme de fusée.

 

Le rôle de la mondiovision.

Un certain nombre d’émissions sur Apollo 11 et la Lune se fait alors en mondiovision. Il s’agit d’une diffusion simultanée d’un programme télévisé dans plusieurs pays du monde. La première retransmission en mondiovision remontait au 11 juillet 1962, date à laquelle les Etats-Unis et la France ont procédé pour la première fois dans l’histoire à une transmission en directe grâce au satellite américain Telstar. Cette première était due pour la partie française à la volonté politique du général de Gaulle souhaitant que la France fasse partie des premières nations à s’engager dans la révolution des télécommunications. Cela avait été rendu possible par notamment la construction du centre de Pleumeur-Bodou. Ainsi, le premier débarquement lunaire bénéficiait des technologies récentes pour pouvoir suivre l’événement en direct (qui n’a cependant pas été le premier grand événement planétaire, mais la chanson des Beatles All You Need Is Love qui, le 25 juin 1967, a été suivie à travers le monde par 400 à 700 millions de téléspectateurs).

 

L’alunissage depuis les studios de Cognacq-Jay.

Les 20 et 21 juillet 1969, le monde entier retient son souffle à la veille du premier débarquement humain sur la Lune ; Houston est momentanément le centre du monde. Le service de presse présent au centre spatial américain ne compte pas moins 36 chaînes de télévision et 3 500 journalistes (dont 57 français). De nombreuses chaînes n’hésitent pas à faire du direct pendant plusieurs heures, comme en France alors qu’il n’existait pas à l’époque d’émissions nocturnes.

L’événement est relaté depuis les studios de Cognacq-Jay (13-15, rue Cognacq-Jay, Paris), haut lieu de la télévision française depuis 1944. Jean-Pierre Chapel et Michel Anfrol ont alors l’honneur de suivre et de commenter le déroulement de l’opération historique entre 3 et 4 heures du matin.

Les deux journalistes prennent alors l’antenne en fin d’après-midi. Maquettes à l’appui devant eux, ils commentent l’arrivée et l’alunissage du module lunaire (LM), à 21h17 (heure de Paris). Il faut attendre plusieurs heures avant la première sortie. Puis vient le moment tant attendu. A ce moment-là, Jean-Pierre Chapel et Michel Anfrol réapparaissent à l’antenne en pleine nuit et pour quatre nouvelles heures de direct.

 

« Le grand rendez-vous »

Dans un premier temps, ce qui interpelle les commentateurs, ce n’est pas tant l’exploit de s’être posé sur la surface lunaire – car celui-ci était finalement attendu – mais plutôt la fièvre qui existe alors aux Etats-Unis. A 2h15, le générique de la MondioVision apparaît à l’écran. La voix de Jean-Pierre Chapel annonce : « Eh bien, c’est maintenant le grand rendez-vous. En principe, dans un quart d’heure nous devrions avoir des images, c’est maintenant que va se passer la sortie sur le sol lunaire. Nous attendons des nouvelles précises (…) ». Le contact est alors établit avec les Etats-Unis où se trouve le correspondant Jacques Salbère. Michel Anfrol annonce l’heure d’ouverture du sas du LM puis la sortie d’Armstrong précisant que celle-ci a été anticipée de plusieurs heures étant donné que les astronautes sont dans un « tel état d’excitation » qu’ils ne peuvent attendre 7 h du matin comme cela était prévu. La cabine est dépressurisée à 2h32 heure de Paris, l’écoutille s’ouvre à 2h42, puis Armstrong procède à la descente. 

En attendant les images, les commentateurs s’interrogent sur l’extraordinaire flegme des astronautes et du fait que la NASA n’arrive pas encore à savoir où se trouve exactement le LM. Puis Armstrong fait savoir qu’il ne s’est posé que 6,4 km plus loin que prévu, tandis qu’Aldrin souligne que la Lune est un véritable « gruyère » avec des trous partout. A l’aide d’une maquette, Jean-Pierre Chapel explique comment Armstrong va sortir et descendre du LM.

 

(A suivre)

 

Références

Un article : « Apollo 11, un spectacle médiatique unique en son genre », Centre Presse Aveyron, 16 juin 2019

Une émission de Rembob’INA : Les premiers pas sur la Lune, INA, 19 mai 2019.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

 

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