Il y a 55 ans, les Américains procédaient au premier rendez-vous spatial
Il y a 55 ans, les Américains procédaient au premier rendez-vous spatial
© NASA

publié le 15 décembre 2020 à 08:44

1321 mots

Il y a 55 ans, les Américains procédaient au premier rendez-vous spatial

Le 15 décembre 1965, deux vaisseaux spatiaux volaient de concert à quelques mètres l’un de l’autre. Retour sur le premier rendez-vous spatial de l’histoire, étape indispensable pour réaliser le vol interplanétaire.


Engagés dans les vols habités depuis 1961 avec le programme Mercury et avant d’effectuer les missions Apollo vers la Lune, les Etats-Unis lancent Gemini, un programme intermédiaire qui entraîne des astronautes à des vols de longue durée et permet la mise au point des techniques nécessaires au vol interplanétaire, dont le rendez-vous.

 

Le vaisseau Gemini

En forme de cône, Gemini a une longueur de 5,7 m, un diamètre maximal de 3 m pour une masse de 3 546 kg pour Gemini VI et 3 663 kg pour Gemini VII. Biplace, celui-ci offre un espace légèrement plus grand que celui de Mercury avec plusieurs nouveautés, dont la structure en deux parties (un module de rentrée qui revient sur Terre et un module de service largué avant le retour) et le pilotable. Pour cela, le commandant de bord a la main sur les commandes de guidage, de rendez-vous et d’atterrissage (son coéquipier, le calculateur de bord, les appareils radar et les circuits d’oxygène et de combustible). Pour effectuer les différentes manœuvres orbitales, le vaisseau est équipé de nombreux moteurs pour le contrôle d’attitude (seize à l’avant, huit à l’arrière), les mouvements d’accélération, verticaux et horizontaux (quatre), la décélération du vaisseau (deux) et sa désorbitation (quatre).

Pour lancer Gemini, les responsables du programme font appel au missile Titan II, plus puissant que les Redstone et Atlas jusqu’alors utilisés pour les Mercury. Le premier vol habité Gemini commence avec la mission Gemini III en mars 1965. Deux autres vols plus tard, le rendez-vous est envisagé…

 

Un rendez-vous chasse l’autre

Pour la mission Gemini VI, il est prévu de procéder à un rendez-vous et à plusieurs amarrages avec un engin cible inhabité appelé Agena. L’équipage sélectionné est composé du vétéran Walter Schirra (qui a réalisé un vol Mercury en octobre 1962) et de Thomas Stafford (premier vol). Toutefois, le 25 octobre 1965, Agena n’atteint pas son orbite ; le lancement de Gemini VI est annulé. Que faire, alors que la mission suivante doit effectuer un vol de longue durée de deux semaines ? Les responsables décident d’opérer un rendez-vous entre les Gemini VI (rebaptisé VIA) et VII.

 

Lancement de Gemini VII

Le 4 décembre, un Titan II décolle de Cape Canaveral emportant Gemini VII avec à bord deux « bleus » : Frank Borman (commandant) et Jim Lovell. Après avoir volé de concert avec le deuxième étage de la fusée Titan II pendant environ 20 minutes, ils gagnent ensuite l’orbite prévue. En attendant d’être rejoints par Gemini VI, Borman et Lovell procèdent à des expériences et observations. Quant aux médias, c’est l’effervescence, y compris en France. Ceux-ci suivent de près les opérations menées par les Américains. Par exemple, Le Parisien libéré titre le 4 par : « Gemini VII avec Borman et Lovell à bord – départ ce soir – 14 jours dans l’espace et le rendez vous du siècle avec Gemini VI – Schirra et Stafford ». Dans les jours qui suivent, de nombreux quotidiens évoquent l’événement. Ainsi, le 11, Le Figaro précise en une que « Gemini VI et VII tourneront en formation pendant 6 heures » ; Combat : « Gemini VI et VII ont rendez-vous demain entre l’Afrique et l’est du Japon », etc.

 

Trois puissances spatiales en compétition

La fébrilité médiatique tient également au fait qu’au même moment « les trois puissances spatiales Etats-Unis, URSS et France progressent » dans « la conquête du cosmos » mais « à des échelons différents », comme le souligne le 6 décembre La Montagne. En effet, la situation est singulière : alors que les Américains s’apprêtent à exécuter le premier rendez-vous, les Soviétiques lancent (le 3) Luna VIII, un engin qui doit se poser sur la Lune (le 6), et les Français qui font placer sur orbite par un lanceur américain (le 6) le FR-1, leur premier satellite scientifique. Le 8, La Montagne, comme d’autres quotidiens, annonce : « Actualité spatiale – Luna VIII s’est posé en douceur mais a été certainement englouti dans la poussière lunaire – FR-1 fonctionne impeccablement ». Si la presse française constate que l’opération soviétique a échoué, elle est fière de noter le succès de notre pays qui, avec son FR-1, fait son entrée dans l’aventure scientifique et technologique de la conquête spatiale. Il est cependant évident que la prouesse française n’est en rien comparable avec celles des deux superpuissances…

 

Gemini VI à la poursuite de Gemini VII

Le 15 décembre, Gemini VI décolle enfin avec Schirra (commandant) et Stafford. Pour réussir le rendez-vous, le lancement s’opère à un moment précis permettant de placer le vaisseau sur un plan orbital proche de l’autre, en tenant compte des positions et des vitesses respectives.

Ayant atteint dans un premier temps l’orbite de 161 / 259 km, Gemini VI manœuvre pour rejoindre l’orbite de Gemini VII qui se trouve à 299 / 302 km. L’écart entre les deux vaisseaux diminue peu à peu pour se retrouver à moins de trois mètres de distance à 297 km d’altitude (au-dessus du Pacifique) à la vitesse de 28 000 km / h; la course poursuite a ainsi duré 5 h 46 mn. Les astronautes peuvent alors se voir et se faire signe à travers leur hublot. Une conversation un peu irréelle s’engage alors. Extrait : « Nous avons du monde ! » annonce Lovell ; Schirra répond : « La circulation est dense ici ! » ; Borman rétorque : « Crois-tu qu’il soit nécessaire d’appeler un agent ? ». Gemini VI et VII volent ensemble, se dépassant à tour de rôle, tournant l’un autour de l’autre. A un moment donné, ils se retrouvent à moins de deux mètres ! La tension est à son comble : un mauvais pilotage entraînerait une collision et pourrait déchirer les parois d’un des vaisseaux. Par sécurité, les astronautes portent leur scaphandre…

Après avoir effectué ensemble trois révolutions autour de la Terre, les deux vaisseaux s’éloignent. Gemini VI baisse son orbite puis, après d’ultimes manœuvres, revient sur Terre le 16 décembre ; la capsule amerrit à environ 1000 km au sud-ouest des Bermudes. La presse se régale littéralement comme La Montagne qui le 17 titre en une : « Ils ont réussi le premier rendez-vous spatial – Extraordinaire tête-à-tête spatial – GEMINI VI A AMERRI EN DOUCEUR A 25 KILOMETRES DU POINT PREVU » ; Le Parisien Libéré titre également en gros en première page : « FAN-TAS-TIQUE ! Le 1er rendez-vous spatial a réussi ! ».

Pendant ce temps, Borman et Lovell continuent leur ronde autour de la Terre malgré quelques difficultés. Ils ont notamment quelques soucis avec un moteur d’attitude qui, cependant, ne met pas l’équipage en danger. Après un vol de 303 heures, Gemini VII amerrit à son tour sur Terre le 18 décembre. Pour les astronautes, les derniers jours ont été difficiles en raison de l’espace particulièrement réduit de leur cabine.

 

Sur le chemin de la Lune

Si les Soviétiques ont réalisé des vols de deux vaisseaux en même temps en août 1962 (Vostok 3 et 4) et en juin 1963 (Vostok 5 et 6), en réalité ceux-ci n’ont effectué que des vols rapprochés de quelques kilomètres, sans avoir eu la capacité de modifier leur orbite. Pour cela, il faut attendre les Gemini américains pour assister aux premières manœuvres orbitales (Gemini II, IV, V) et au premier rendez-vous avec les Gemini VI et VII. Paris Match, dans son numéro du 1er janvier 1966, leur fait honneur en présentant un « un reportage historique ».

Ainsi, avec le succès des Gemini (dix missions au total entre mars 1965 et novembre 1966), la plupart des opérations nécessaires au vol interplanétaire habité sont maîtrisées, permettant aux Américains de s’engager sur le chemin de la Lune…

 

Pour en savoir plus

Un article : « Le premier rendez-vous de l’espace », Marc Heimar et Bernard Giquel, in Paris Match, n°873, 1er janvier 1966.

Un document de la NASA sur l’histoire du projet Gemini : « On the Shoulders of Titans : A History of Project Gemini », Barton C. Hacker et James M. Grimwood, NASA P-4203, 1977

Un film de la NASA intitulé « Proud Conquest: Gemini VI  and VII », 1966.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence

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15/12/2020 08:44
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Il y a 55 ans, les Américains procédaient au premier rendez-vous spatial

Le 15 décembre 1965, deux vaisseaux spatiaux volaient de concert à quelques mètres l’un de l’autre. Retour sur le premier rendez-vous spatial de l’histoire, étape indispensable pour réaliser le vol interplanétaire.

Il y a 55 ans, les Américains procédaient au premier rendez-vous spatial
Il y a 55 ans, les Américains procédaient au premier rendez-vous spatial

Engagés dans les vols habités depuis 1961 avec le programme Mercury et avant d’effectuer les missions Apollo vers la Lune, les Etats-Unis lancent Gemini, un programme intermédiaire qui entraîne des astronautes à des vols de longue durée et permet la mise au point des techniques nécessaires au vol interplanétaire, dont le rendez-vous.

 

Le vaisseau Gemini

En forme de cône, Gemini a une longueur de 5,7 m, un diamètre maximal de 3 m pour une masse de 3 546 kg pour Gemini VI et 3 663 kg pour Gemini VII. Biplace, celui-ci offre un espace légèrement plus grand que celui de Mercury avec plusieurs nouveautés, dont la structure en deux parties (un module de rentrée qui revient sur Terre et un module de service largué avant le retour) et le pilotable. Pour cela, le commandant de bord a la main sur les commandes de guidage, de rendez-vous et d’atterrissage (son coéquipier, le calculateur de bord, les appareils radar et les circuits d’oxygène et de combustible). Pour effectuer les différentes manœuvres orbitales, le vaisseau est équipé de nombreux moteurs pour le contrôle d’attitude (seize à l’avant, huit à l’arrière), les mouvements d’accélération, verticaux et horizontaux (quatre), la décélération du vaisseau (deux) et sa désorbitation (quatre).

Pour lancer Gemini, les responsables du programme font appel au missile Titan II, plus puissant que les Redstone et Atlas jusqu’alors utilisés pour les Mercury. Le premier vol habité Gemini commence avec la mission Gemini III en mars 1965. Deux autres vols plus tard, le rendez-vous est envisagé…

 

Un rendez-vous chasse l’autre

Pour la mission Gemini VI, il est prévu de procéder à un rendez-vous et à plusieurs amarrages avec un engin cible inhabité appelé Agena. L’équipage sélectionné est composé du vétéran Walter Schirra (qui a réalisé un vol Mercury en octobre 1962) et de Thomas Stafford (premier vol). Toutefois, le 25 octobre 1965, Agena n’atteint pas son orbite ; le lancement de Gemini VI est annulé. Que faire, alors que la mission suivante doit effectuer un vol de longue durée de deux semaines ? Les responsables décident d’opérer un rendez-vous entre les Gemini VI (rebaptisé VIA) et VII.

 

Lancement de Gemini VII

Le 4 décembre, un Titan II décolle de Cape Canaveral emportant Gemini VII avec à bord deux « bleus » : Frank Borman (commandant) et Jim Lovell. Après avoir volé de concert avec le deuxième étage de la fusée Titan II pendant environ 20 minutes, ils gagnent ensuite l’orbite prévue. En attendant d’être rejoints par Gemini VI, Borman et Lovell procèdent à des expériences et observations. Quant aux médias, c’est l’effervescence, y compris en France. Ceux-ci suivent de près les opérations menées par les Américains. Par exemple, Le Parisien libéré titre le 4 par : « Gemini VII avec Borman et Lovell à bord – départ ce soir – 14 jours dans l’espace et le rendez vous du siècle avec Gemini VI – Schirra et Stafford ». Dans les jours qui suivent, de nombreux quotidiens évoquent l’événement. Ainsi, le 11, Le Figaro précise en une que « Gemini VI et VII tourneront en formation pendant 6 heures » ; Combat : « Gemini VI et VII ont rendez-vous demain entre l’Afrique et l’est du Japon », etc.

 

Trois puissances spatiales en compétition

La fébrilité médiatique tient également au fait qu’au même moment « les trois puissances spatiales Etats-Unis, URSS et France progressent » dans « la conquête du cosmos » mais « à des échelons différents », comme le souligne le 6 décembre La Montagne. En effet, la situation est singulière : alors que les Américains s’apprêtent à exécuter le premier rendez-vous, les Soviétiques lancent (le 3) Luna VIII, un engin qui doit se poser sur la Lune (le 6), et les Français qui font placer sur orbite par un lanceur américain (le 6) le FR-1, leur premier satellite scientifique. Le 8, La Montagne, comme d’autres quotidiens, annonce : « Actualité spatiale – Luna VIII s’est posé en douceur mais a été certainement englouti dans la poussière lunaire – FR-1 fonctionne impeccablement ». Si la presse française constate que l’opération soviétique a échoué, elle est fière de noter le succès de notre pays qui, avec son FR-1, fait son entrée dans l’aventure scientifique et technologique de la conquête spatiale. Il est cependant évident que la prouesse française n’est en rien comparable avec celles des deux superpuissances…

 

Gemini VI à la poursuite de Gemini VII

Le 15 décembre, Gemini VI décolle enfin avec Schirra (commandant) et Stafford. Pour réussir le rendez-vous, le lancement s’opère à un moment précis permettant de placer le vaisseau sur un plan orbital proche de l’autre, en tenant compte des positions et des vitesses respectives.

Ayant atteint dans un premier temps l’orbite de 161 / 259 km, Gemini VI manœuvre pour rejoindre l’orbite de Gemini VII qui se trouve à 299 / 302 km. L’écart entre les deux vaisseaux diminue peu à peu pour se retrouver à moins de trois mètres de distance à 297 km d’altitude (au-dessus du Pacifique) à la vitesse de 28 000 km / h; la course poursuite a ainsi duré 5 h 46 mn. Les astronautes peuvent alors se voir et se faire signe à travers leur hublot. Une conversation un peu irréelle s’engage alors. Extrait : « Nous avons du monde ! » annonce Lovell ; Schirra répond : « La circulation est dense ici ! » ; Borman rétorque : « Crois-tu qu’il soit nécessaire d’appeler un agent ? ». Gemini VI et VII volent ensemble, se dépassant à tour de rôle, tournant l’un autour de l’autre. A un moment donné, ils se retrouvent à moins de deux mètres ! La tension est à son comble : un mauvais pilotage entraînerait une collision et pourrait déchirer les parois d’un des vaisseaux. Par sécurité, les astronautes portent leur scaphandre…

Après avoir effectué ensemble trois révolutions autour de la Terre, les deux vaisseaux s’éloignent. Gemini VI baisse son orbite puis, après d’ultimes manœuvres, revient sur Terre le 16 décembre ; la capsule amerrit à environ 1000 km au sud-ouest des Bermudes. La presse se régale littéralement comme La Montagne qui le 17 titre en une : « Ils ont réussi le premier rendez-vous spatial – Extraordinaire tête-à-tête spatial – GEMINI VI A AMERRI EN DOUCEUR A 25 KILOMETRES DU POINT PREVU » ; Le Parisien Libéré titre également en gros en première page : « FAN-TAS-TIQUE ! Le 1er rendez-vous spatial a réussi ! ».

Pendant ce temps, Borman et Lovell continuent leur ronde autour de la Terre malgré quelques difficultés. Ils ont notamment quelques soucis avec un moteur d’attitude qui, cependant, ne met pas l’équipage en danger. Après un vol de 303 heures, Gemini VII amerrit à son tour sur Terre le 18 décembre. Pour les astronautes, les derniers jours ont été difficiles en raison de l’espace particulièrement réduit de leur cabine.

 

Sur le chemin de la Lune

Si les Soviétiques ont réalisé des vols de deux vaisseaux en même temps en août 1962 (Vostok 3 et 4) et en juin 1963 (Vostok 5 et 6), en réalité ceux-ci n’ont effectué que des vols rapprochés de quelques kilomètres, sans avoir eu la capacité de modifier leur orbite. Pour cela, il faut attendre les Gemini américains pour assister aux premières manœuvres orbitales (Gemini II, IV, V) et au premier rendez-vous avec les Gemini VI et VII. Paris Match, dans son numéro du 1er janvier 1966, leur fait honneur en présentant un « un reportage historique ».

Ainsi, avec le succès des Gemini (dix missions au total entre mars 1965 et novembre 1966), la plupart des opérations nécessaires au vol interplanétaire habité sont maîtrisées, permettant aux Américains de s’engager sur le chemin de la Lune…

 

Pour en savoir plus

Un article : « Le premier rendez-vous de l’espace », Marc Heimar et Bernard Giquel, in Paris Match, n°873, 1er janvier 1966.

Un document de la NASA sur l’histoire du projet Gemini : « On the Shoulders of Titans : A History of Project Gemini », Barton C. Hacker et James M. Grimwood, NASA P-4203, 1977

Un film de la NASA intitulé « Proud Conquest: Gemini VI  and VII », 1966.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence



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