Il y a 35 ans, un Français à bord de la navette américaine
Il y a 35 ans, un Français à bord de la navette américaine
© NASA

publié le 17 juin 2020 à 19:13

1103 mots

Il y a 35 ans, un Français à bord de la navette américaine

Le 17 juin 1985, l’astronaute Patrick Baudry partait dans l’espace à bord de l’orbiteur Discovery. C’était le premier vol d’un Français à bord d’une navette spatiale américaine.


Du vol soviétique…

En raison d’une coopération franco-soviétique active depuis 1966, la France songe dès 1974 à envoyer dans l’espace un de ses compatriotes à bord d’un vaisseau soviétique. En avril 1979, Leonid Brejnev, le secrétaire général de l’Union soviétique, invite un Français à séjourner dans la station orbitale Saliout 7. Le Centre national d’études spatiales (CNES) procède alors à la sélection de deux astronautes : les pilotes d’essais militaires Jean-Loup Chrétien et Patrick Baudry. Si le premier effectue le vol du 24 juin au 2 juillet 1982, le second demeure au sol en tant que doublure.

 

…à la proposition américaine

Face aux initiatives soviétiques à l’égard de la France, les Etats-Unis, qui déploient depuis 1981 leur flotte de navettes spatiales (Columbia en 1981, Challenger en 1983, Discovery en 1984 et Atlantis en cours de construction), proposent à leur tour à la France en 1984 un vol habité. Cette dernière accepte. Le CNES désigne alors Patrick Baudry pour effectuer cette seconde mission habitée française, la première dans le cadre de la coopération franco-américaine (qui existe depuis 1961).

Le 23 mars 1984, Patrick Baudry rejoint le corps des astronautes de la NASA et est affecté à la mission STS 51-D. Mais, en octobre, il est réaffecté à la mission STS 51-E, ce qui n’était pas une pratique surprenante de la part des Américains, comme le souligne Patrick Baudry dans son livre Aujourd’hui le soleil se lève seize fois : « Les missions étant programmées avec des délais assez courts, les changements de matériels embarqués et d’équipages sont fréquents à la NASA, ou du moins apparaissent-ils plus nombreux parce que les Américains ne cachent rien et que le remplacement d’un satellite par un autre a des conséquences techniques et financière de première importance ». Toutefois, des difficultés techniques liées à la charge utile (satellite TDRS) entraînent fin février 1985 l’annulation de la mission STS 51-E, au grand dam de Patrick Baudry ! Quelques jours plus tard, celui-ci apprend cependant sa nouvelle réaffectation sur la mission STS 51-G (avec la navette Discovery), en tant que spécialiste de charge utile aux côtés de Daniel Brandenstein (commandant), John Creighton (pilote), Shannon Lucid, John Fabian, Steven Nagel et du Saoudien Sultan ben Salman Al Saoud, le premier Arabe à voler dans l’espace.

 

« Sciences de la vie »

Alors que la mission principale de STS 51-G verra la mise sur orbite de trois satellites de communication, Patrick Baudry doit effectuer plusieurs expériences médicales dans le cadre de deux études biologiques (mission « Sciences de la vie ») planifiées par René Bost, le responsable des programmes des sciences de la vie au CNES.

La première étude, appelée « Echographie », est confiée à l’équipe du professeur Léandre Pourcelot du Laboratoire de médecine nucléaire (CHU de Tours). Ce dernier met alors au point le premier appareil au monde d’échographie-Doppler pour l’étude du système cardiovasculaire des astronautes. Testé à bord de Saliout 7 par Jean-Loup Chrétien, l’appareil revole avec Patrick Baudry. Jusqu’alors, les études effectuées sur le système cardiovasculaire des astronautes se faisaient la plupart du temps avant ou après le vol.

La seconde étude, « Equilibre et vertige », est préparée par le Laboratoire de physiologie neurosensorielle du CNRS par l’équipe des professeurs Alain Berthoz et Francis Lestienne. Plusieurs expériences constituent cette étude, visant à comprendre l’influence de l’impesanteur sur le comportement neurosensoriel.

Pour l’anecdote, Patrick Baudry réussit à convaincre la NASA de pouvoir emporter avec lui un Château Lynch-Bages de Pauillac, cinquième grand cru des vins de Bordeaux qui, pour le Français, représente « l’un des plus beaux exemples du travail humain et l’une des plus belles merveilles que produit notre Terre, avant que le coca ne soit envoyé à son tour dans l’espace, et je n’en étais pas peu fier ! ».

 

Le vol et les opérations

Effectuant son cinquième vol depuis son entrée en service en 1984, la navette décolle avec succès le 17 juin 1985 depuis le Centre spatial Kennedy (Floride) et rejoint son orbite à 360 km d’altitude. Tandis que Patrick Baudry effectue ses séries de tests médicaux, les autres astronautes procèdent au déploiement de Morelos 1 (512 kg), premier satellite de communications du Mexique puis le lendemain d’Arabsat 1B (1 270 kg), de l’Organisation arabe des satellites de communication (sa mise à poste est supervisée par l’astronaute saoudien). Enfin, le 19 juin, c’est au tour du troisième et dernier satellite, Telstar 3D (630 kg), de la compagnie américaine AT&T. Pour atteindre leur orbite de transfert géosynchrone, les trois satellites utilisent à chaque fois des étages PAM-D, après avoir quitté la soute de la navette. Par ailleurs, deux autres charges utiles sont également déployées et récupérées (par un bras robotique) : la première est la plate-forme réutilisable Spartan 1 qui, deux jours durant, mène une étude astronomique (sur les gaz chauds et les rayons X émis par diverses galaxies), la seconde est le HPTE (High Precision Tracking Experiment), une expérience de suivi de haute précision dans le cadre de l’IDS (Initiative de Défense Stratégique).

 

Le retour

Après avoir passé 169 heures dans l’espace, l’équipage de STS 51-G revient sur Terre le 24 juin 1985, la navette atterrissant à sur la base Air Force d’Edwards, en Californie. Pour Patrick Baudry la mission n’est pas terminée, car il doit encore subir dans les heures qui suivent toute une batterie d’analyses médicales indispensables aux expériences.

Comme pour Jean-Loup Chrétien quelques années auparavant, le vol de Patrick Baudry rencontre un impressionnant écho médiatique. Les médias suivent de près la mission avant, pendant et après le décollage et sont notamment sensibles à l’aspect international de celle-ci. Ainsi, dans son édition du 17 juin, Le Figaro publie en première page une photo de Patrick Baudry à côté de l’astronaute saoudien sous le titre : « Deux nouveaux dans l’espace » ; la fierté nationale et celle de l’astronaute français se lit littéralement dans le regard de Patrick Baudry qui déclare « Je vais réaliser mon plus beau rêve ». De nombreux quotidiens et hebdomadaires rapportent les « coulisses du voyage », comme le Paris Match qui titre « BAUDRY Exclusif : toutes les photos de l’astronaute français à bord de la navette ». Les autres médias ne sont pas en reste : des reportages sont consacrés à l’événement sur TF1 et Antenne 2 pour la télévision, sur France Inter, Sud Radio ou encore Radio Monte-Carlo pour la radio, etc. Suivent également les félicitations d’un certain nombre de personnalités, dont celle du président François Mitterrand.

 

Références

Un ouvrage : Aujourd’hui le soleil se lève seize fois, Patrick Baudry, Carrere, Paris, 1985

Une vidéo et une interview sur la mission STS 51-G sur le site de Patrick Baudry

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

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17/06/2020 19:13
1103 mots

Il y a 35 ans, un Français à bord de la navette américaine

Le 17 juin 1985, l’astronaute Patrick Baudry partait dans l’espace à bord de l’orbiteur Discovery. C’était le premier vol d’un Français à bord d’une navette spatiale américaine.

Il y a 35 ans, un Français à bord de la navette américaine
Il y a 35 ans, un Français à bord de la navette américaine

Du vol soviétique…

En raison d’une coopération franco-soviétique active depuis 1966, la France songe dès 1974 à envoyer dans l’espace un de ses compatriotes à bord d’un vaisseau soviétique. En avril 1979, Leonid Brejnev, le secrétaire général de l’Union soviétique, invite un Français à séjourner dans la station orbitale Saliout 7. Le Centre national d’études spatiales (CNES) procède alors à la sélection de deux astronautes : les pilotes d’essais militaires Jean-Loup Chrétien et Patrick Baudry. Si le premier effectue le vol du 24 juin au 2 juillet 1982, le second demeure au sol en tant que doublure.

 

…à la proposition américaine

Face aux initiatives soviétiques à l’égard de la France, les Etats-Unis, qui déploient depuis 1981 leur flotte de navettes spatiales (Columbia en 1981, Challenger en 1983, Discovery en 1984 et Atlantis en cours de construction), proposent à leur tour à la France en 1984 un vol habité. Cette dernière accepte. Le CNES désigne alors Patrick Baudry pour effectuer cette seconde mission habitée française, la première dans le cadre de la coopération franco-américaine (qui existe depuis 1961).

Le 23 mars 1984, Patrick Baudry rejoint le corps des astronautes de la NASA et est affecté à la mission STS 51-D. Mais, en octobre, il est réaffecté à la mission STS 51-E, ce qui n’était pas une pratique surprenante de la part des Américains, comme le souligne Patrick Baudry dans son livre Aujourd’hui le soleil se lève seize fois : « Les missions étant programmées avec des délais assez courts, les changements de matériels embarqués et d’équipages sont fréquents à la NASA, ou du moins apparaissent-ils plus nombreux parce que les Américains ne cachent rien et que le remplacement d’un satellite par un autre a des conséquences techniques et financière de première importance ». Toutefois, des difficultés techniques liées à la charge utile (satellite TDRS) entraînent fin février 1985 l’annulation de la mission STS 51-E, au grand dam de Patrick Baudry ! Quelques jours plus tard, celui-ci apprend cependant sa nouvelle réaffectation sur la mission STS 51-G (avec la navette Discovery), en tant que spécialiste de charge utile aux côtés de Daniel Brandenstein (commandant), John Creighton (pilote), Shannon Lucid, John Fabian, Steven Nagel et du Saoudien Sultan ben Salman Al Saoud, le premier Arabe à voler dans l’espace.

 

« Sciences de la vie »

Alors que la mission principale de STS 51-G verra la mise sur orbite de trois satellites de communication, Patrick Baudry doit effectuer plusieurs expériences médicales dans le cadre de deux études biologiques (mission « Sciences de la vie ») planifiées par René Bost, le responsable des programmes des sciences de la vie au CNES.

La première étude, appelée « Echographie », est confiée à l’équipe du professeur Léandre Pourcelot du Laboratoire de médecine nucléaire (CHU de Tours). Ce dernier met alors au point le premier appareil au monde d’échographie-Doppler pour l’étude du système cardiovasculaire des astronautes. Testé à bord de Saliout 7 par Jean-Loup Chrétien, l’appareil revole avec Patrick Baudry. Jusqu’alors, les études effectuées sur le système cardiovasculaire des astronautes se faisaient la plupart du temps avant ou après le vol.

La seconde étude, « Equilibre et vertige », est préparée par le Laboratoire de physiologie neurosensorielle du CNRS par l’équipe des professeurs Alain Berthoz et Francis Lestienne. Plusieurs expériences constituent cette étude, visant à comprendre l’influence de l’impesanteur sur le comportement neurosensoriel.

Pour l’anecdote, Patrick Baudry réussit à convaincre la NASA de pouvoir emporter avec lui un Château Lynch-Bages de Pauillac, cinquième grand cru des vins de Bordeaux qui, pour le Français, représente « l’un des plus beaux exemples du travail humain et l’une des plus belles merveilles que produit notre Terre, avant que le coca ne soit envoyé à son tour dans l’espace, et je n’en étais pas peu fier ! ».

 

Le vol et les opérations

Effectuant son cinquième vol depuis son entrée en service en 1984, la navette décolle avec succès le 17 juin 1985 depuis le Centre spatial Kennedy (Floride) et rejoint son orbite à 360 km d’altitude. Tandis que Patrick Baudry effectue ses séries de tests médicaux, les autres astronautes procèdent au déploiement de Morelos 1 (512 kg), premier satellite de communications du Mexique puis le lendemain d’Arabsat 1B (1 270 kg), de l’Organisation arabe des satellites de communication (sa mise à poste est supervisée par l’astronaute saoudien). Enfin, le 19 juin, c’est au tour du troisième et dernier satellite, Telstar 3D (630 kg), de la compagnie américaine AT&T. Pour atteindre leur orbite de transfert géosynchrone, les trois satellites utilisent à chaque fois des étages PAM-D, après avoir quitté la soute de la navette. Par ailleurs, deux autres charges utiles sont également déployées et récupérées (par un bras robotique) : la première est la plate-forme réutilisable Spartan 1 qui, deux jours durant, mène une étude astronomique (sur les gaz chauds et les rayons X émis par diverses galaxies), la seconde est le HPTE (High Precision Tracking Experiment), une expérience de suivi de haute précision dans le cadre de l’IDS (Initiative de Défense Stratégique).

 

Le retour

Après avoir passé 169 heures dans l’espace, l’équipage de STS 51-G revient sur Terre le 24 juin 1985, la navette atterrissant à sur la base Air Force d’Edwards, en Californie. Pour Patrick Baudry la mission n’est pas terminée, car il doit encore subir dans les heures qui suivent toute une batterie d’analyses médicales indispensables aux expériences.

Comme pour Jean-Loup Chrétien quelques années auparavant, le vol de Patrick Baudry rencontre un impressionnant écho médiatique. Les médias suivent de près la mission avant, pendant et après le décollage et sont notamment sensibles à l’aspect international de celle-ci. Ainsi, dans son édition du 17 juin, Le Figaro publie en première page une photo de Patrick Baudry à côté de l’astronaute saoudien sous le titre : « Deux nouveaux dans l’espace » ; la fierté nationale et celle de l’astronaute français se lit littéralement dans le regard de Patrick Baudry qui déclare « Je vais réaliser mon plus beau rêve ». De nombreux quotidiens et hebdomadaires rapportent les « coulisses du voyage », comme le Paris Match qui titre « BAUDRY Exclusif : toutes les photos de l’astronaute français à bord de la navette ». Les autres médias ne sont pas en reste : des reportages sont consacrés à l’événement sur TF1 et Antenne 2 pour la télévision, sur France Inter, Sud Radio ou encore Radio Monte-Carlo pour la radio, etc. Suivent également les félicitations d’un certain nombre de personnalités, dont celle du président François Mitterrand.

 

Références

Un ouvrage : Aujourd’hui le soleil se lève seize fois, Patrick Baudry, Carrere, Paris, 1985

Une vidéo et une interview sur la mission STS 51-G sur le site de Patrick Baudry

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.



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