Le premier satellite tchécoslovaque a 40 ans
Le premier satellite tchécoslovaque a 40 ans
© LIBRESHOT

publié le 24 octobre 2018 à 11:19

948 mots

Le premier satellite tchécoslovaque a 40 ans

Le 24 octobre 1978, l’URSS plaçait sur orbite le premier satellite tchécoslovaque dans le cadre du programme Intercosmos.


Dès le début de la conquête de l’espace, les Etats-Unis proposaient à ses alliés de participer à certains de leurs programmes, en embarquant leurs instruments scientifiques dans des satellites américains ou en lançant leurs satellites, comme le britannique Ariel et le canadien Alouette en 1962. Cela permettait aux nations occidentales d’accéder plus rapidement à la dimension spatiale. En pleine Guerre froide, l’adversaire soviétique adoptait la même démarche.

 

La convention Intercosmos.

En novembre 1965, l’URSS propose à plusieurs nations communistes de la rejoindre dans les activités spatiales. A l’issue de réunions tenues à Moscou les 15 et 20 novembre 1966, il est décidé d’organiser une « coopération de pays socialistes pour l’étude et l’utilisation de l’espace cosmique à des fins pacifiques ». En avril 1967, un vaste programme se dessine entre l’URSS et huit Etats issus du bloc de l’Est : Bulgarie, Cuba, Hongrie, Mongolie, Pologne, République Démocratique d’Allemagne, Roumanie et Tchécoslovaquie, rejoints par le Vietnam en 1979. Coordonnée par l’Académie des Sciences de l’URSS, la coopération prend en 1970 le nom Intercosmos.

Intercosmos permet de regrouper des savoir-faire provenant de différents pays sur des programmes comme la géophysique, la météorologie, les télécommunications, etc. Conçus entre plusieurs pays, les instruments scientifiques sont installés dans des satellites soviétiques également appelés Intercosmos. Ainsi, le 14 octobre 1969, Intercosmos 1 part étudier les rayons X et ultraviolets du Soleil. Les instruments ont été réalisés par l’URSS, la RDA et la Tchécoslovaquie. La propagande soviétique insiste sur le fait que « Les spécialistes de ces pays ont participé au montage et aux essais sur le satellite, lors de sa préparation au lancement. Ils ont également fait partie du groupe de contrôle du vol de l’engin ». D’autres Intercosmos suivent.

 

Un sous-satellite tchécoslovaque lancé depuis un Intercosmos.

Une nouvelle initiative intervient le 24 octobre 1978. Ce jour-là l’URSS procède au lancement depuis la base de Plessetsk (à l’aide d’une fusée Cosmos 11K65M) du satellite Intercosmos 18. Ce dernier est placé sur une orbite de 403 km de périgée et de 757 km d’apogée. Destiné à l’étude des interactions entre la magnétosphère et l’ionosphère terrestres, celui-ci est conjointement conçu par la Hongrie, la Pologne, la RDA, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et l’URSS. De plus, et pour la première fois, le satellite Intercosmos (1 050 kg) emporte avec lui un sous-satellite nommé Magion (15 kg), construit par la Tchécoslovaquie. Pour la première fois également, un satellite issu d’une nation communiste autre que la Chine et l’URSS est envoyé dans l’espace.

La mission de Magion est de même nature que celle d’Intercosmos 18, d’où son nom (MAGnétosphère IONosphère). Le 14 novembre, après avoir été éjecté du vaisseau-mère par un système de ressorts télécommandé, Magion se retrouve sur une orbite proche de celle d’Intercosmos (404 km de périgée, 762 km d’apogée), s’éloignant d’environ 60 km par jour. Les deux satellites effectuent alors simultanément des mesures en deux points éloignés. De son côté, Magion est principalement équipé de systèmes de télémétrie, de liaison de télécommande, d’alimentation (composé de panneaux solaires et de batteries), de stabilisation… Quant à ses instruments scientifiques, ils ont pu prendre des mesures des champs électriques et magnétiques.

 

Pourquoi une préséance à la Tchécoslovaquie ?

Premièrement, les relations soviéto-tchécoslovaques étaient singulières. Des solidarités existaient entre les peuples slaves en général, les Russes et les Tchécoslovaques en particulier. Ces solidarités ont été renforcées au cours de la Seconde Guerre mondiale. En 1948-49, celles-ci ont été remplacées par les nécessités idéologiques, la politique étrangère tchécoslovaque étant alors strictement alignée sur celle du grand-frère soviétique.

Deuxièmement, les Tchécoslovaques ont depuis longtemps un goût certain pour les sciences. Soulignons notamment l’existence de l’Académie tchécoslovaque des sciences qui était issue depuis 1952-53 de la fusion de l’Académie tchécoslovaque des sciences et des arts (créée en 1890) et de la Société royale des sciences de Bohême (créée en 1784). Au sein de cette dernière, la section Physique y tenait une place importante. Ainsi, à l’époque communiste, la Tchécoslovaquie disposait d’une importante ressource scientifique.

Au regard de ces relations, il ne faut donc pas s’étonner que le premier pays à accueillir le cosmonaute soviétique Youri Gagarine ait été la Tchécoslovaquie, le 28 avril 1961. De même, lorsque les Soviétiques proposent d’envoyer dans l’espace des cosmonautes issus du bloc communiste, encore une fois les Tchécoslovaques ont l’honneur d’être les premiers : du 2 au 10 mars 1978, Vladimir Remek effectue un vol à bord de Soyouz 28-Salyout 6. Pour la première fois, un cosmonaute autre que soviétique ou américain accédait à l’espace. Les Etats-Unis ne procéderont à la même opération qu’en 1983 avec l’Ouest-allemand Ulf Merbold (lors de la mission STS 9).

 

L’après Magion.

Quant à Intercosmos 18 et Magion 1, ils ont fonctionné pendant environ trois ans, le premier jusqu’au 18 mars 1981, le second jusqu’au 11 septembre suivant. Le succès a été tel que les Soviétiques puis les Russes ont lancé quatre autres Magion, les 3 octobre 1989 (magnétosphère, ionosphère), 28 décembre 1991 (magnétosphère, ionosphère), 2 août 1995 (magnétosphère, vent solaire) et 29 août 1996 (magnétosphère, aurores boréales).

Depuis, la République tchèque, principale héritière du spatial tchécoslovaque, tient une position non négligeable dans certains programmes spatiaux de l’Agence spatiale européenne (ESA) - dont elle est membre depuis le 8 juillet 2008 - notamment dans les sciences et les technologies spatiales, l’observation de la Terre ou encore dans le système de navigation Galileo.

 

Références.

L’Encyclopédie soviétique de l’astronautique mondiale, sous la direction de V.P. Glouchko, Ed. MIR, Moscou, 1971.

Un article : « Prague à la conquête de l’espace », Paula Dupraz-Dobias, in Largeur, 9 mai 2017

Une vidéo sur le lancement du premier satellite Magion

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

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24/10/2018 11:19
948 mots

Le premier satellite tchécoslovaque a 40 ans

Le 24 octobre 1978, l’URSS plaçait sur orbite le premier satellite tchécoslovaque dans le cadre du programme Intercosmos.

Le premier satellite tchécoslovaque a 40 ans
Le premier satellite tchécoslovaque a 40 ans

Dès le début de la conquête de l’espace, les Etats-Unis proposaient à ses alliés de participer à certains de leurs programmes, en embarquant leurs instruments scientifiques dans des satellites américains ou en lançant leurs satellites, comme le britannique Ariel et le canadien Alouette en 1962. Cela permettait aux nations occidentales d’accéder plus rapidement à la dimension spatiale. En pleine Guerre froide, l’adversaire soviétique adoptait la même démarche.

 

La convention Intercosmos.

En novembre 1965, l’URSS propose à plusieurs nations communistes de la rejoindre dans les activités spatiales. A l’issue de réunions tenues à Moscou les 15 et 20 novembre 1966, il est décidé d’organiser une « coopération de pays socialistes pour l’étude et l’utilisation de l’espace cosmique à des fins pacifiques ». En avril 1967, un vaste programme se dessine entre l’URSS et huit Etats issus du bloc de l’Est : Bulgarie, Cuba, Hongrie, Mongolie, Pologne, République Démocratique d’Allemagne, Roumanie et Tchécoslovaquie, rejoints par le Vietnam en 1979. Coordonnée par l’Académie des Sciences de l’URSS, la coopération prend en 1970 le nom Intercosmos.

Intercosmos permet de regrouper des savoir-faire provenant de différents pays sur des programmes comme la géophysique, la météorologie, les télécommunications, etc. Conçus entre plusieurs pays, les instruments scientifiques sont installés dans des satellites soviétiques également appelés Intercosmos. Ainsi, le 14 octobre 1969, Intercosmos 1 part étudier les rayons X et ultraviolets du Soleil. Les instruments ont été réalisés par l’URSS, la RDA et la Tchécoslovaquie. La propagande soviétique insiste sur le fait que « Les spécialistes de ces pays ont participé au montage et aux essais sur le satellite, lors de sa préparation au lancement. Ils ont également fait partie du groupe de contrôle du vol de l’engin ». D’autres Intercosmos suivent.

 

Un sous-satellite tchécoslovaque lancé depuis un Intercosmos.

Une nouvelle initiative intervient le 24 octobre 1978. Ce jour-là l’URSS procède au lancement depuis la base de Plessetsk (à l’aide d’une fusée Cosmos 11K65M) du satellite Intercosmos 18. Ce dernier est placé sur une orbite de 403 km de périgée et de 757 km d’apogée. Destiné à l’étude des interactions entre la magnétosphère et l’ionosphère terrestres, celui-ci est conjointement conçu par la Hongrie, la Pologne, la RDA, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et l’URSS. De plus, et pour la première fois, le satellite Intercosmos (1 050 kg) emporte avec lui un sous-satellite nommé Magion (15 kg), construit par la Tchécoslovaquie. Pour la première fois également, un satellite issu d’une nation communiste autre que la Chine et l’URSS est envoyé dans l’espace.

La mission de Magion est de même nature que celle d’Intercosmos 18, d’où son nom (MAGnétosphère IONosphère). Le 14 novembre, après avoir été éjecté du vaisseau-mère par un système de ressorts télécommandé, Magion se retrouve sur une orbite proche de celle d’Intercosmos (404 km de périgée, 762 km d’apogée), s’éloignant d’environ 60 km par jour. Les deux satellites effectuent alors simultanément des mesures en deux points éloignés. De son côté, Magion est principalement équipé de systèmes de télémétrie, de liaison de télécommande, d’alimentation (composé de panneaux solaires et de batteries), de stabilisation… Quant à ses instruments scientifiques, ils ont pu prendre des mesures des champs électriques et magnétiques.

 

Pourquoi une préséance à la Tchécoslovaquie ?

Premièrement, les relations soviéto-tchécoslovaques étaient singulières. Des solidarités existaient entre les peuples slaves en général, les Russes et les Tchécoslovaques en particulier. Ces solidarités ont été renforcées au cours de la Seconde Guerre mondiale. En 1948-49, celles-ci ont été remplacées par les nécessités idéologiques, la politique étrangère tchécoslovaque étant alors strictement alignée sur celle du grand-frère soviétique.

Deuxièmement, les Tchécoslovaques ont depuis longtemps un goût certain pour les sciences. Soulignons notamment l’existence de l’Académie tchécoslovaque des sciences qui était issue depuis 1952-53 de la fusion de l’Académie tchécoslovaque des sciences et des arts (créée en 1890) et de la Société royale des sciences de Bohême (créée en 1784). Au sein de cette dernière, la section Physique y tenait une place importante. Ainsi, à l’époque communiste, la Tchécoslovaquie disposait d’une importante ressource scientifique.

Au regard de ces relations, il ne faut donc pas s’étonner que le premier pays à accueillir le cosmonaute soviétique Youri Gagarine ait été la Tchécoslovaquie, le 28 avril 1961. De même, lorsque les Soviétiques proposent d’envoyer dans l’espace des cosmonautes issus du bloc communiste, encore une fois les Tchécoslovaques ont l’honneur d’être les premiers : du 2 au 10 mars 1978, Vladimir Remek effectue un vol à bord de Soyouz 28-Salyout 6. Pour la première fois, un cosmonaute autre que soviétique ou américain accédait à l’espace. Les Etats-Unis ne procéderont à la même opération qu’en 1983 avec l’Ouest-allemand Ulf Merbold (lors de la mission STS 9).

 

L’après Magion.

Quant à Intercosmos 18 et Magion 1, ils ont fonctionné pendant environ trois ans, le premier jusqu’au 18 mars 1981, le second jusqu’au 11 septembre suivant. Le succès a été tel que les Soviétiques puis les Russes ont lancé quatre autres Magion, les 3 octobre 1989 (magnétosphère, ionosphère), 28 décembre 1991 (magnétosphère, ionosphère), 2 août 1995 (magnétosphère, vent solaire) et 29 août 1996 (magnétosphère, aurores boréales).

Depuis, la République tchèque, principale héritière du spatial tchécoslovaque, tient une position non négligeable dans certains programmes spatiaux de l’Agence spatiale européenne (ESA) - dont elle est membre depuis le 8 juillet 2008 - notamment dans les sciences et les technologies spatiales, l’observation de la Terre ou encore dans le système de navigation Galileo.

 

Références.

L’Encyclopédie soviétique de l’astronautique mondiale, sous la direction de V.P. Glouchko, Ed. MIR, Moscou, 1971.

Un article : « Prague à la conquête de l’espace », Paula Dupraz-Dobias, in Largeur, 9 mai 2017

Une vidéo sur le lancement du premier satellite Magion

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.



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