Il y a 30 ans, l’URSS assemblait le « train spatial » Mir-Kvant-1
Il y a 30 ans, l’URSS assemblait le « train spatial » Mir-Kvant-1
© Collection Air & Cosmos

publié le 10 avril 2017 à 11:02

903 mots

Il y a 30 ans, l’URSS assemblait le « train spatial » Mir-Kvant-1

Le 9 avril 1987, le module d’astrophysique Kvant-1 était amarré à la station Mir, confirmant la présence et la prééminence soviétiques en orbite basse.


Après l’échec de la course à la Lune contre les Etats-Unis, l’Union soviétique se « replie » sur l’orbite terrestre en y installant des stations orbitales ; le défi technologique pour les réaliser est alors à sa portée. Sept stations du nom de Saliout (« Salut », en russe) sont lancées entre 1971 et 1982. Avec les deux dernières, Saliout 6 (1977-1982) et Saliout 7 (1982-1991), les Soviétiques ont acquis une certaine maîtrise des séjours de longue durée, améliorant la sécurité et le confort des cosmonautes.

Le 20 février 1986, l’URSS procède au lancement de sa nouvelle station, Mir (« Paix » ou « Monde », en russe), d’une masse de 20,1 tonnes avec un volume habitable de 90 m3. Celle-ci diffère des Saliout notamment par l’existence de six ports d’amarrage, de cabines individuelles pour les cosmonautes et, surtout, par le fait qu’elle soit appelée à s’agrandir par des modules spécialisés, devenant un ambitieux laboratoire scientifique ouvert à la coopération internationale, y compris avec des nations occidentales. La récente arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev offre alors un cadre politique favorable.

Kvant-1.

Le premier module, Kvant-1 (« Quantum »), devait à l’origine être amarré à la station Saliout 7. Toutefois, les nombreuses difficultés techniques (liées notamment à sa charge utile scientifique) ont fait que son lancement a été basculé sur Mir. Kvant-1 est constitué de deux éléments : le remorqueur TKM-E de 10 tonnes, qui doit se détacher une fois la jonction faite avec Mir, et le module en lui-même de 11 tonnes, qui a une longueur de 5,80 m et un diamètre de 4,15 m. Ce dernier offre un volume pressurisé de 40 m3, avec 1,5 tonne d’appareils scientifiques. Dédié principalement à la recherche astrophysique, Kvant-1 est ainsi équipé de quatre télescopes pour l’étude des rayonnements X de l’Univers : le Pulsar X1 de l’Institut de recherches cosmiques de Moscou, le TTM de l’Université de Birmingham du Royaume-Uni (en partenariat avec les Pays-Bas), le Hexe de l’Institut allemand de physique de Garching, et le Sirene 2 de l’Agence spatiale européenne. Kvant emporte également le télescope ultraviolet Glazar (des observatoires de Genève et de Biourakan, Arménie), le spectromètre magnétique Mariya (pour mesurer les flux d’électrons et de positons à haute énergie dans l’espace proche de la Terre), ainsi qu’une unité d’électrophérèse (Svetlana). Enfin, en janvier 1990, l’instrument Arafa-E sera installé à l’extérieur de Kvant-1, pour étudier l’ionosphère et la magnétosphère de la Terre.

Les péripéties de l’amarrage.

Le 31 mars 1987, au moment où Kvant-1 est lancé par une Proton K, Mir est occupée par Youri Romanenko et Alexandre Laveykine, le deuxième équipage-résidant de la station, arrivé le 7 février avec le vaisseau Soyouz TM2. Le 5 avril, Kvant-1 est sur le point de s’amarrer à l’arrière de la station, lorsque survient un dysfonctionnement du système de guidage ; rien ne peut stopper l’impressionnant vaisseau, qui passe alors à une dizaine de mètres de la station ! L’opération est réitérée le 9 avril. Cette fois-ci tout se déroule correctement mais, au moment du vissage entre les deux éléments, l’étanchéité n’est pas réalisée… Cela nécessite, le 11 avril, une sortie extravéhiculaire de l’équipage afin de solutionner le problème : celui-ci découvre alors un morceau de sac à ordures abandonné ! Par ailleurs, pendant sa sortie dans l’espace, le cosmonaute Laveykine est sujet à une angoisse liée à une peur de la dépressurisation de son scaphandre, entraînant un stress cardiaque. Le 12 avril, le remorqueur TKM-E se détache enfin de Kvant-1. Le train orbital Mir-Kvant-1 offre un volume habitable de 130 m3.

Une intense activité.

Les 23 avril et 21 mai, les vaisseaux cargos Progress 19 et 20 viennent successivement s’amarrer derrière Kvant-1, apportant du fret et du matériel. Le 24 juillet, c’est au tour du Soyouz TM-3 de rejoindre la station avec un équipage international : les Russes Alexandre Viktorenko, Alexandre Alexandrov et le Syrien Muhammed Faris. Le 29 juillet, Soyouz TM-2 se détache pour revenir sur Terre avec Viktorenko, Faris et Laveykine, procédant ainsi à un changement partiel de l’équipage-résidant de Mir.

Quant à Romanenko, qui reste donc avec Alexandrov jusqu’à la relève suivante (le 29 décembre), il pulvérise le record d’endurance dans l’espace, avec un séjour de 326 jours. Il a ainsi participé à des centaines d’expériences médicales, biologiques, astrophysiques (Glazar a par exemple cartographié des noyaux galactiques et des pulsars), géophysiques et technologiques.

L’aventure continue.

Après Kvant-1, d’autres modules rejoignent Mir : Kvant-2 le 6 décembre 1989 (pour diverses expériences scientifiques, avec des systèmes de support de vie et un nouveau sas pour des EVA) ; Kvant-3 ou Kristall le 10 juin 1990 (pour des expériences de biotechnologie, d’astrophysique, d’astronomie, plus une unité de culture des plantes) ; Spektr le 1er juin 1995 (pour l’observation de la Terre) et Priroda le 26 avril 1996 (pour l’observation de la Terre en coopération avec une douzaine de pays). Enfin, un module d’amarrage apporté par la navette américaine Atlantis complète le complexe orbital le 15 novembre 1995, pour faciliter les accostages des navettes.

« Mir, a écrit le spécialiste Jacques Villain, demeurera comme la première et véritable maison de l’homme hors de son berceau natal, la Terre. Elle demeurera aussi comme un premier refuge de l’espace ouvert à tous, Russes et non-Russes. Car, en fait, la première station internationale, c’était bien elle ».

 

Références.

Un ouvrage : VILLAIN Jacques, Mir. Le voyage extraordinaire (1986-2001), Le Cherche Midi, Paris, 2001.

Un jeu vidéo : GameplayReviewUK avec des images de synthèse permet de suivre le début de la construction de Mir avec l’arrivée de Kvant 1, de vaisseaux Progress et Soyouz

Un site sur le développement, le descriptif et la chronologie du module Kvant : Astronautix.com

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

Commentaires
10/04/2017 11:02
903 mots

Il y a 30 ans, l’URSS assemblait le « train spatial » Mir-Kvant-1

Le 9 avril 1987, le module d’astrophysique Kvant-1 était amarré à la station Mir, confirmant la présence et la prééminence soviétiques en orbite basse.

Il y a 30 ans, l’URSS assemblait le « train spatial » Mir-Kvant-1
Il y a 30 ans, l’URSS assemblait le « train spatial » Mir-Kvant-1

Après l’échec de la course à la Lune contre les Etats-Unis, l’Union soviétique se « replie » sur l’orbite terrestre en y installant des stations orbitales ; le défi technologique pour les réaliser est alors à sa portée. Sept stations du nom de Saliout (« Salut », en russe) sont lancées entre 1971 et 1982. Avec les deux dernières, Saliout 6 (1977-1982) et Saliout 7 (1982-1991), les Soviétiques ont acquis une certaine maîtrise des séjours de longue durée, améliorant la sécurité et le confort des cosmonautes.

Le 20 février 1986, l’URSS procède au lancement de sa nouvelle station, Mir (« Paix » ou « Monde », en russe), d’une masse de 20,1 tonnes avec un volume habitable de 90 m3. Celle-ci diffère des Saliout notamment par l’existence de six ports d’amarrage, de cabines individuelles pour les cosmonautes et, surtout, par le fait qu’elle soit appelée à s’agrandir par des modules spécialisés, devenant un ambitieux laboratoire scientifique ouvert à la coopération internationale, y compris avec des nations occidentales. La récente arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev offre alors un cadre politique favorable.

Kvant-1.

Le premier module, Kvant-1 (« Quantum »), devait à l’origine être amarré à la station Saliout 7. Toutefois, les nombreuses difficultés techniques (liées notamment à sa charge utile scientifique) ont fait que son lancement a été basculé sur Mir. Kvant-1 est constitué de deux éléments : le remorqueur TKM-E de 10 tonnes, qui doit se détacher une fois la jonction faite avec Mir, et le module en lui-même de 11 tonnes, qui a une longueur de 5,80 m et un diamètre de 4,15 m. Ce dernier offre un volume pressurisé de 40 m3, avec 1,5 tonne d’appareils scientifiques. Dédié principalement à la recherche astrophysique, Kvant-1 est ainsi équipé de quatre télescopes pour l’étude des rayonnements X de l’Univers : le Pulsar X1 de l’Institut de recherches cosmiques de Moscou, le TTM de l’Université de Birmingham du Royaume-Uni (en partenariat avec les Pays-Bas), le Hexe de l’Institut allemand de physique de Garching, et le Sirene 2 de l’Agence spatiale européenne. Kvant emporte également le télescope ultraviolet Glazar (des observatoires de Genève et de Biourakan, Arménie), le spectromètre magnétique Mariya (pour mesurer les flux d’électrons et de positons à haute énergie dans l’espace proche de la Terre), ainsi qu’une unité d’électrophérèse (Svetlana). Enfin, en janvier 1990, l’instrument Arafa-E sera installé à l’extérieur de Kvant-1, pour étudier l’ionosphère et la magnétosphère de la Terre.

Les péripéties de l’amarrage.

Le 31 mars 1987, au moment où Kvant-1 est lancé par une Proton K, Mir est occupée par Youri Romanenko et Alexandre Laveykine, le deuxième équipage-résidant de la station, arrivé le 7 février avec le vaisseau Soyouz TM2. Le 5 avril, Kvant-1 est sur le point de s’amarrer à l’arrière de la station, lorsque survient un dysfonctionnement du système de guidage ; rien ne peut stopper l’impressionnant vaisseau, qui passe alors à une dizaine de mètres de la station ! L’opération est réitérée le 9 avril. Cette fois-ci tout se déroule correctement mais, au moment du vissage entre les deux éléments, l’étanchéité n’est pas réalisée… Cela nécessite, le 11 avril, une sortie extravéhiculaire de l’équipage afin de solutionner le problème : celui-ci découvre alors un morceau de sac à ordures abandonné ! Par ailleurs, pendant sa sortie dans l’espace, le cosmonaute Laveykine est sujet à une angoisse liée à une peur de la dépressurisation de son scaphandre, entraînant un stress cardiaque. Le 12 avril, le remorqueur TKM-E se détache enfin de Kvant-1. Le train orbital Mir-Kvant-1 offre un volume habitable de 130 m3.

Une intense activité.

Les 23 avril et 21 mai, les vaisseaux cargos Progress 19 et 20 viennent successivement s’amarrer derrière Kvant-1, apportant du fret et du matériel. Le 24 juillet, c’est au tour du Soyouz TM-3 de rejoindre la station avec un équipage international : les Russes Alexandre Viktorenko, Alexandre Alexandrov et le Syrien Muhammed Faris. Le 29 juillet, Soyouz TM-2 se détache pour revenir sur Terre avec Viktorenko, Faris et Laveykine, procédant ainsi à un changement partiel de l’équipage-résidant de Mir.

Quant à Romanenko, qui reste donc avec Alexandrov jusqu’à la relève suivante (le 29 décembre), il pulvérise le record d’endurance dans l’espace, avec un séjour de 326 jours. Il a ainsi participé à des centaines d’expériences médicales, biologiques, astrophysiques (Glazar a par exemple cartographié des noyaux galactiques et des pulsars), géophysiques et technologiques.

L’aventure continue.

Après Kvant-1, d’autres modules rejoignent Mir : Kvant-2 le 6 décembre 1989 (pour diverses expériences scientifiques, avec des systèmes de support de vie et un nouveau sas pour des EVA) ; Kvant-3 ou Kristall le 10 juin 1990 (pour des expériences de biotechnologie, d’astrophysique, d’astronomie, plus une unité de culture des plantes) ; Spektr le 1er juin 1995 (pour l’observation de la Terre) et Priroda le 26 avril 1996 (pour l’observation de la Terre en coopération avec une douzaine de pays). Enfin, un module d’amarrage apporté par la navette américaine Atlantis complète le complexe orbital le 15 novembre 1995, pour faciliter les accostages des navettes.

« Mir, a écrit le spécialiste Jacques Villain, demeurera comme la première et véritable maison de l’homme hors de son berceau natal, la Terre. Elle demeurera aussi comme un premier refuge de l’espace ouvert à tous, Russes et non-Russes. Car, en fait, la première station internationale, c’était bien elle ».

 

Références.

Un ouvrage : VILLAIN Jacques, Mir. Le voyage extraordinaire (1986-2001), Le Cherche Midi, Paris, 2001.

Un jeu vidéo : GameplayReviewUK avec des images de synthèse permet de suivre le début de la construction de Mir avec l’arrivée de Kvant 1, de vaisseaux Progress et Soyouz

Un site sur le développement, le descriptif et la chronologie du module Kvant : Astronautix.com

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.



Commentaires