Les 30 ans du premier IRS indien
Les 30 ans du premier IRS indien
© Collection Histoires d'espace

publié le 20 mars 2018 à 09:48

1042 mots

Les 30 ans du premier IRS indien

Avec le déploiement d’IRS 1A, la jeune nation émergente faisait de sa capacité d’observation des ressources terrestres un outil de son développement.


L’Inde est une des rares puissances qui, dès son engagement dans les activités spatiales, a mis ces dernières au service des populations et du développement du territoire. Pour ce faire, elle s’est progressivement équipée de différents systèmes satellitaires, dont un dédié à l’observation de la Terre.

 

Le déploiement du système IRS.

Le 17 mars 1988, IRS 1A, le premier Indian Remote Sensing est lancé avec succès par une fusée soviétique Vostok 2M, depuis Baïkonour (Kazakhstan). D’une masse de 975 kg, doté d’une puissance de 600 W (énergie fournie par deux panneaux solaires), IRS rejoint une orbite héliosynchrone de 863 x 904 km d’altitude, avec une inclinaison de 99°. Destiné à fournir des images pour des applications terrestres, l’engin est équipé de deux caméras multispectrales, LISS-I et II (Linear Imaging Self Scanning), d’une précision respective de 72,5 et 36 m.

Conçu par l’Agence spatiale indienne, l’Indian Space Research Organisation (ISRO), IRS 1A est le premier d’une série d’engins appelée à former un système de collecte de données pour assurer une meilleure gestion de l’agriculture et des forêts, mais aussi pour étudier la géologie et l’hydrologie. L’objectif est de mieux comprendre le milieu naturel du vaste pays (3,28 millions km²) pour être capable de l’exploiter tout en tenant compte des fragilités. Par exemple, les données (multi-spectrales et répétitives) permettent de suivre l’état d’avancement des principales cultures et d’en estimer les productions, d’empêcher la déforestation illégale, d’estimer le ruissellement de la fonte des neiges pour planifier l’utilisation de l’eau en aval, etc.

Face au succès d’IRS 1A (complété par IRS 1B, le 29 août 1991) et à la demande croissante de données, d’autres satellites sont lancés avec des capacités technologiques améliorées, offrant ainsi de nouvelles applications dans des domaines variés (urbanisme, construction d’infrastructures, études côtières, etc.). Des services spécialisés sont même mis en place comme la Mission intégrée pour le Développement durable, le Système national d’information urbaine, le Programme de soutien à la gestion des catastrophes, etc. Pour comprendre ce vif intérêt, il faut remonter aux premières années de l’indépendance de l’Inde (1947).

 

Le défi du développement.

Au début des années 50, l’Inde doit faire face à de nombreux défis, d’abord politiques avec principalement le conflit entre hindous et musulmans, se traduisant notamment par la naissance du Pakistan. A cela s’est ajoutée la question du développement économique –l’Inde est alors un pays dit du « Tiers Monde »– avec une population qui augmente de manière spectaculaire : entre 1951 et 1961, elle passe de 361 à 439 millions d’habitants ! L’une des priorités est alors d’assurer l’autosuffisance alimentaire (Révolution verte). Le pays doit impérativement apprendre à gérer son territoire par tous les moyens, y compris par la dimension spatiale lorsque celle-ci fait son apparition. Cependant, le retard technologique est tel qu’il s’avère indispensable de coopérer… Mais avec qui ?

 

Un contexte géopolitique complexe.

La réponse n’est pas simple, d’autant plus que l’Inde affiche clairement à partir de 1955 sa volonté de ne pas s’aligner sur les deux superpuissances de l’époque. Mais, dans le même temps, elle affronte un contexte régional délicat : à l’ouest, le conflit avec le Pakistan perdure ; au nord, les turbulences du géant chinois inquiètent. Les nécessités de la géopolitique font que le Pakistan devient un allié des Etats-Unis, tandis que la Chine, en froid avec l’URSS, se lance dans une politique d’ouverture avec les Américains. Ces éléments permettent de comprendre le rapprochement indo-soviétique, comme le souligne l’universitaire américain Ronak D. Desai, spécialiste en droit et sécurité : « Si l’Inde et la Russie se rapprochent encore, c’est en raison du refus indien de rejoindre le camp occidental pendant les premières années de Guerre froide et l’éloignement progressif des États-Unis qui en a résulté. Washington, faute d’alliance indienne, forgea une alliance militaire et stratégique avec l’ennemi juré pakistanais et, la coopération sino-pakistanaise allant s’approfondissant, l’Inde s’est trouvée encerclée. La conséquence logique dans pareille situation géostratégique est que l’URSS, en dépit du non-alignement officiellement proclamé, en deviendra la superpuissance tutélaire ».

 

La coopération indo-soviétique.

Au début des années 60, l’Inde s’engage dans les activités spatiales ; un Comité national de la recherche spatiale (INCOSPAR, 1962) est même créé sous l’action de Vikram Sarabhai, le père du spatial indien. Ce dernier est alors convaincu du rôle des technologies dans le développement de son pays : « L’Inde doit utiliser la technologie chaque fois que possible pour résoudre les problèmes de l’homme et de la société, et d’améliorer l’économie de l’Inde ». Fidèles au non-alignement, les Indiens multiplient les coopérations : en 1962-63, des scientifiques partent aux Etats-Unis se former à la technologie des fusées-sondes ; en 1964, un partenariat se tisse avec la France dans les fusées-sondes et l’étude de la haute atmosphère ; en 1970, le centre spatial de Sriharikota est construit avec une aide française et soviétique.

Etant donné le contexte (évoqué un peu plus haut), la coopération indo-soviétique prend de l’ampleur, aboutissant le 9 août 1971 à un traité économique, scientifique et technologique. Au niveau spatial, les scientifiques indiens en profitent pour négocier la construction de leur premier satellite Aryabhata (pour l’étude de la haute atmosphère). Les Soviétiques leur apportent une aide technologique conséquente, ainsi que le lancement le 19 avril 1975.

 

De Bhaskara à IRS.

Capables désormais de développer leur technologie, les Indiens décident la réalisation de satellites d’application, dont certains pour la télédétection des ressources de la Terre. Le contexte est d’autant plus favorable que les Américains viennent de démontrer tout l’intérêt de disposer de tels satellites avec notamment leur premier Landsat en juillet 1972.

Dès lors, les Indiens construisent Bhaskara 1 et 2, deux satellites équipés de caméras pour des études expérimentales sur les forêts, la géologie et l’hydrologie. Ils sont lancés les 7 juin 1979 et 20 novembre 1981 (par des fusées soviétiques). Rencontrant le succès, les Bhaskara ouvrent ainsi la voie à la filière pérenne des IRS.

IRS 1A a été désactivé en juillet 1996, après 8 ans de service ; Cartosat 2F, lancé le 12 janvier dernier, est le 24e satellite d’observation de la Terre mis en service par l’Inde depuis 30 ans.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

 

Références

Un article : « Le partenariat indo-russe », de Ronak D. Desai, in Outre-Terre n°19, février 2007.

Un site évoquant le programme IRS.

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20/03/2018 09:48
1042 mots

Les 30 ans du premier IRS indien

Avec le déploiement d’IRS 1A, la jeune nation émergente faisait de sa capacité d’observation des ressources terrestres un outil de son développement.

Les 30 ans du premier IRS indien
Les 30 ans du premier IRS indien

L’Inde est une des rares puissances qui, dès son engagement dans les activités spatiales, a mis ces dernières au service des populations et du développement du territoire. Pour ce faire, elle s’est progressivement équipée de différents systèmes satellitaires, dont un dédié à l’observation de la Terre.

 

Le déploiement du système IRS.

Le 17 mars 1988, IRS 1A, le premier Indian Remote Sensing est lancé avec succès par une fusée soviétique Vostok 2M, depuis Baïkonour (Kazakhstan). D’une masse de 975 kg, doté d’une puissance de 600 W (énergie fournie par deux panneaux solaires), IRS rejoint une orbite héliosynchrone de 863 x 904 km d’altitude, avec une inclinaison de 99°. Destiné à fournir des images pour des applications terrestres, l’engin est équipé de deux caméras multispectrales, LISS-I et II (Linear Imaging Self Scanning), d’une précision respective de 72,5 et 36 m.

Conçu par l’Agence spatiale indienne, l’Indian Space Research Organisation (ISRO), IRS 1A est le premier d’une série d’engins appelée à former un système de collecte de données pour assurer une meilleure gestion de l’agriculture et des forêts, mais aussi pour étudier la géologie et l’hydrologie. L’objectif est de mieux comprendre le milieu naturel du vaste pays (3,28 millions km²) pour être capable de l’exploiter tout en tenant compte des fragilités. Par exemple, les données (multi-spectrales et répétitives) permettent de suivre l’état d’avancement des principales cultures et d’en estimer les productions, d’empêcher la déforestation illégale, d’estimer le ruissellement de la fonte des neiges pour planifier l’utilisation de l’eau en aval, etc.

Face au succès d’IRS 1A (complété par IRS 1B, le 29 août 1991) et à la demande croissante de données, d’autres satellites sont lancés avec des capacités technologiques améliorées, offrant ainsi de nouvelles applications dans des domaines variés (urbanisme, construction d’infrastructures, études côtières, etc.). Des services spécialisés sont même mis en place comme la Mission intégrée pour le Développement durable, le Système national d’information urbaine, le Programme de soutien à la gestion des catastrophes, etc. Pour comprendre ce vif intérêt, il faut remonter aux premières années de l’indépendance de l’Inde (1947).

 

Le défi du développement.

Au début des années 50, l’Inde doit faire face à de nombreux défis, d’abord politiques avec principalement le conflit entre hindous et musulmans, se traduisant notamment par la naissance du Pakistan. A cela s’est ajoutée la question du développement économique –l’Inde est alors un pays dit du « Tiers Monde »– avec une population qui augmente de manière spectaculaire : entre 1951 et 1961, elle passe de 361 à 439 millions d’habitants ! L’une des priorités est alors d’assurer l’autosuffisance alimentaire (Révolution verte). Le pays doit impérativement apprendre à gérer son territoire par tous les moyens, y compris par la dimension spatiale lorsque celle-ci fait son apparition. Cependant, le retard technologique est tel qu’il s’avère indispensable de coopérer… Mais avec qui ?

 

Un contexte géopolitique complexe.

La réponse n’est pas simple, d’autant plus que l’Inde affiche clairement à partir de 1955 sa volonté de ne pas s’aligner sur les deux superpuissances de l’époque. Mais, dans le même temps, elle affronte un contexte régional délicat : à l’ouest, le conflit avec le Pakistan perdure ; au nord, les turbulences du géant chinois inquiètent. Les nécessités de la géopolitique font que le Pakistan devient un allié des Etats-Unis, tandis que la Chine, en froid avec l’URSS, se lance dans une politique d’ouverture avec les Américains. Ces éléments permettent de comprendre le rapprochement indo-soviétique, comme le souligne l’universitaire américain Ronak D. Desai, spécialiste en droit et sécurité : « Si l’Inde et la Russie se rapprochent encore, c’est en raison du refus indien de rejoindre le camp occidental pendant les premières années de Guerre froide et l’éloignement progressif des États-Unis qui en a résulté. Washington, faute d’alliance indienne, forgea une alliance militaire et stratégique avec l’ennemi juré pakistanais et, la coopération sino-pakistanaise allant s’approfondissant, l’Inde s’est trouvée encerclée. La conséquence logique dans pareille situation géostratégique est que l’URSS, en dépit du non-alignement officiellement proclamé, en deviendra la superpuissance tutélaire ».

 

La coopération indo-soviétique.

Au début des années 60, l’Inde s’engage dans les activités spatiales ; un Comité national de la recherche spatiale (INCOSPAR, 1962) est même créé sous l’action de Vikram Sarabhai, le père du spatial indien. Ce dernier est alors convaincu du rôle des technologies dans le développement de son pays : « L’Inde doit utiliser la technologie chaque fois que possible pour résoudre les problèmes de l’homme et de la société, et d’améliorer l’économie de l’Inde ». Fidèles au non-alignement, les Indiens multiplient les coopérations : en 1962-63, des scientifiques partent aux Etats-Unis se former à la technologie des fusées-sondes ; en 1964, un partenariat se tisse avec la France dans les fusées-sondes et l’étude de la haute atmosphère ; en 1970, le centre spatial de Sriharikota est construit avec une aide française et soviétique.

Etant donné le contexte (évoqué un peu plus haut), la coopération indo-soviétique prend de l’ampleur, aboutissant le 9 août 1971 à un traité économique, scientifique et technologique. Au niveau spatial, les scientifiques indiens en profitent pour négocier la construction de leur premier satellite Aryabhata (pour l’étude de la haute atmosphère). Les Soviétiques leur apportent une aide technologique conséquente, ainsi que le lancement le 19 avril 1975.

 

De Bhaskara à IRS.

Capables désormais de développer leur technologie, les Indiens décident la réalisation de satellites d’application, dont certains pour la télédétection des ressources de la Terre. Le contexte est d’autant plus favorable que les Américains viennent de démontrer tout l’intérêt de disposer de tels satellites avec notamment leur premier Landsat en juillet 1972.

Dès lors, les Indiens construisent Bhaskara 1 et 2, deux satellites équipés de caméras pour des études expérimentales sur les forêts, la géologie et l’hydrologie. Ils sont lancés les 7 juin 1979 et 20 novembre 1981 (par des fusées soviétiques). Rencontrant le succès, les Bhaskara ouvrent ainsi la voie à la filière pérenne des IRS.

IRS 1A a été désactivé en juillet 1996, après 8 ans de service ; Cartosat 2F, lancé le 12 janvier dernier, est le 24e satellite d’observation de la Terre mis en service par l’Inde depuis 30 ans.

 

Philippe Varnoteaux est docteur en histoire, spécialiste des débuts de l’exploration spatiale en France et auteur de plusieurs ouvrages de référence.

 

Références

Un article : « Le partenariat indo-russe », de Ronak D. Desai, in Outre-Terre n°19, février 2007.

Un site évoquant le programme IRS.



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